L'avant conseil de classe
Les incontournables (inutiles ?) cérémonials trimestriels ont commencé.
Alias les conseils de classe.
Les conseils se préparent en plusieurs temps :
1) Avoir fait ses dernières corrections…
(durée : environ 60H la dernière quinzaine de jours avant conseil)
Personnellement avant d’avoir attaqué cette laborieuse tâche j’ai du me coltiner 45cm de travaux – j’ai préféré ne pas savoir combien cela représentait de dizaine de classes – je me suis contentée de mesurer la pile + 2 m3 de maquettes et sculptures.
2) Rentrer ses notes à raison de plus de 7000 par an je suis une vraie petite comptable / opératrice de saisi ! (environ 12H par trimestre)
3) Taper les appréciations via des procédés informatiques souvent archaïques qui vous obligent à venir en avance et à rester tard le soir pendant 2 semaines en salle des profs. Surtout quand comme moi vous avez tout le collège soit environ 500 élèves. (35H par trimestre et encore je ne philosophe pas… si vous faites le calcul cela représente 4mn par élève !)
Parce que 500 appréciations c’est du boulot !
C’est mine de rien pas loin de 1500 lignes – ok, je sais, je fais des appréciations longues - …
bref, un petit mémoire en somme !
sauf que c’est beaucoup moins palpitant.
Et puis faut être sérieux car les parents les lisent !
Ils sont exigeants, ils veulent du personnalisé, ils ne se satisfont pas d’un « satisfaisant » !
En trois lignes ils veulent savoir avec précisions comment s’est conduit leur rejeton pendant trois mois !
En plus, l’appréciation c’est tout un art, avec une codification précise, le tout en un nombre de caractères limités !
Rappel : 3 lignes grand maximum, parce que le bulletin de l’élève n’est pas un bottin, il doit tenir sur une page !
Il faut ainsi parler des résultats, de la progression de l’élève, de son comportement et lui donner un conseil.
Ne négligez aucune de ces étapes !
Suivons le mode d’emploi : « convenable, en baisse en fin de trimestre. Bavarde. Arrêtez de bavarder ! »
Eh eh !!!
Et là vous avez tout faux… ou presque !
Vos collègues de français ne manqueront pas de remarquer (et de se moquer ?) de votre manque de style.
Il faut faire de jolies phrases courtes, c’est plus apprécié que le télégramme ;-)
En plus vous n’avez pas mis le prénom de l’élève, ce qui peut vexer le parent qui ne manquera pas de vous dire que vous avez fait un copier / coller !
Mais pire vous n’avez pas la liberté d’expression.
Ah parce que vous croyez vraiment que le prof quand il fait DU bulletin il dit la vérité toute nue sortant du puits ?
Jean-Léon Gérôme, La vérité sortant du puits armée de son martinet pour châtier l'humanité, Fin XIXème.
Ben non… il veut pas non plus qu’on lui tombe dessus… alors il est poli, il pratique l’euphémisme !
Car il faut le savoir une appréciation est toujours plus douce que la réalité.
Si vous avez : « bavarde » comprendre « il crie à travers la classe toute la journée, bâillonnez le ! »
« insolent » comprendre « il est tellement irrespectueux et malpoli qu’un jour je vais lui en coller une ! »
« gravement perturbateur » comprendre « votre enfant est dangereux, cherchez une structure spécialisée, c’est sans espoir »
« ensemble très faible » comprendre « c’est la catastrophe et là aussi c’est probablement sans espoir »
Alors bien sûr quand je dépasse ma trois centièmes appréciations, je commence à fatiguer et à manquer d’inspiration…
Je divague…
je me retiens d’écrire aux élèves que je n’ai pas vu de tout le trimestre car ils ont assidûment séché « pas vu pas pris » !
18H30, je sature, donc je bougonne devant l’écran, à côté de mes collègues qui saturent et bougonnent eux aussi.
En plus on se fait critiquer, nos collègues de français râlent que décidément on est des nuls parce qu’on sait plus comment ça s’écrit « néanmoins » !
18H45, je me retrouve à devoir rédiger l’appréciation d’un casse-pied, un winner dans sa catégorie, du lourd, un vrai boulet… une des cerises de mon collège.
Alors en me disant qu’en trois lignes et en étant polie je vais devoir faire passer tout le bien que je pense de cet élève, j’en soupire.
Une collègue : « mais pourquoi tu soupires »
La Prof : « parce que là c’est l’appréciation de THE casse-pied et que je peux pas mettre ce dont j’ai envie »
La collègue : « Mais si ! tu peux mettre tout ce que tu veux ! Voyons !!!
Qu’est ce que tu voulais mettre ? »
La Prof : « Vous auriez mieux fait d’avorter »*
La collègue : « ah ouais, ben non, en fait, ça tu peux pas le mettre – elle rigole – ah toi quand même t’as de ses idées ! »
Je plaisante, mais c’est vrai qu’on ne peut pas l’écrire… en tout cas je ne l’ai pas mis :o)
3 articles : Avant / Pendant / Après les conseils de classe.
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* « Si tes parents avaient su ce que tu allais devenir ils auraient avorté » est une spéciale dédicace à mon prof de math au lycée qui prononça cette phrase en cours à une des filles de ma classe !
Il y a des mots qu'on n'oublie pas :o)
Un autre tableau... une autre Vérité... :-)
Edouard Debat-Ponsan, La Vérité sortant du puits, vers 1898,
musée d'Ambroise, prêt du musée d'Orsay.